«Quand l'URSS voulait cacher Tchernobyl
Un journal russe publie les minutes de la réunion du politburo, qui s'est tenue à Moscou trois jours après la catastrophe. Où l'on apprend comment les dirigeants soviétiques voulaient faire passer l'explosion pour une fuite radioactive. Accablant pour Gorbatchev et les siens.
«Quand on donnera une information, il faudra dire que la station était en travaux, pour ne pas porter ombrage à notre équipement.» La phrase est celle de Mikhaïl Gorbatchev, il y a vingt ans. Le chef d'Etat soviétique venait d'ouvrir la première réunion du bureau politique sur Tchernobyl, trois jours après la catastrophe. Pour la première fois mercredi, le quotidien russe «Izvestia» a publié le compte-rendu minute par minute de cette réunion secrète de la haute direction communiste, le 29 avril 1986. Et qui témoigne tout à la fois de l'affolement des responsables soviétiques de l'époque et de leur volonté de cacher l'accident nucléaire.
«Il faut donner plus d'informations à nos pays frères, et une information (différente) à Washington et à Londres», propose le ministre des Affaires étrangères, Andreï Gromyko. «Les correspondants étrangers vont chercher des rumeurs?», avertit un autre membre du Politburo, Alexandre Iakovlev, un proche de Gorbatchev. «Rédigeons trois messages: le premier pour les nôtres, un autre pour les pays socialistes, et un troisième pour l'Europe, les Etats-Unis et le Canada», dit encore le Premier ministre Nikolaï Ryjkov.
Mikhail Zimianine, rédacteur en chef du quotidien du PC, «la Pravda», propose de souligner dans l'information officielle qu'il «n'y a pas eu d'explosion nucléaire, mais juste une fuite de radiations, provoquée par un accident». «On pourrait dire que l'accident a provoqué une perte d'étanchéité» du réacteur, renchérit un autre intervenant. «C'est correct, après tout [le président américain] Reagan doit déjà avoir les photos sur son bureau», lui fait écho Anatoly Dobrynine, le légendaire diplomate soviétique qui a servi aux Etats-Unis de 1962 à 1986.
Finalement, le 29 avril, le Comité Central du PC adresse une résolution à toutes les capitales d'Europe de l'Est stipulant que «d'après les données des organismes soviétiques compétents, le niveau de radiation dépasse quelque peu les normes admises, mais pas suffisamment pour justifier l'adoption de mesures spéciales de protection pour la population».
Deux jours après, le Politburo décide d'envoyer des correspondants soviétiques dans les zones voisines de Tchernobyl, «pour montrer les activités normales dans ces régions».
Les dirigeants soviétiques décident également de «renforcer la propagande pour démasquer les inventions mensongères des médias bourgeois et des services secrets» étrangers sur Tchernobyl.»